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Immobilier universitaire en général et à U Lille en particulier

samedi 12 novembre 2022, par Claire Bornais

Un rapport de la Cour des comptes sur l’immobilier universitaire est paru le 11 octobre 2022.
Ci-dessous quelques morceaux choisis, avec illustration sur le cas de l’Université de Lille et nos analyses

Article légèrement modifié par rapport à sa version initialement publiée le 15/10 en fonction des remarques qui nous ont été faites

Extraits de la synthèse du rapport de la Cour des comptes sur l’immobilier universitaire

Précision cas U Lille

« Les services universitaires chargés de l’immobilier ont vu leurs effectifs se renforcer, mais les postes les plus techniques peinent à être pourvus, en raison notamment de la concurrence d’autres acteurs, privés ou publics »

La concurrence est à de multiples niveaux :

  • au niveau des salaires, bien sûr, trop faibles dans le secteur public, et de plus en plus de surcroît, en raison du non-rattrapage de l’inflation annuelle depuis des années, mais aussi

  • au niveau des conditions de travail : les restructurations institutionnelles engendrent des réorganisations de services, lesquelles engendrent du mal être au travail par perte de repères, changements de méthodes/outils (généralement sans vraie formation pour les accompagner en temps utile, qui plus est), d’où des mutations, des départs, voire des problèmes de santé, et en fin de compte des pertes énormes de compétences et de connaissances fines des sujets1. Ce schéma s’applique à tous les services de l’établissement restructuré, pas qu’à celui chargé de l’immobilier. D’où une grande perte d’efficacité globale, en fait. C’est pourquoi nous disons que les restructurations ont pour effet de dégrader la qualité du service public rendu et ce, d’autant plus lorsqu’elles s’accompagnent de difficultés budgétaires entraînant de surcroît des suppressions de postes !

 « la tendance à la croissance des superficies pour accompagner la démographie étudiante et améliorer l’ancrage territorial des universités a cédé la place à un processus de rationalisation de l’existant. »

La rationalisation a ses limites, y compris dans l’immobilier, ce qui est noté par la Cour des comptes : l’effectif étudiant est passé de environ 1,4 millions en 2000 à 1,650 millions en 2020, soit une augmentation de 17,8 % (et 1,687 millions estimés pour 2028, soit une augmentation de 20,5 %). Autrement dit, en moyenne, si vous avez des salles à 40 places, on vous demande d’y mettre maintenant plus de 47 étudiant⋅es. Ou si vous avez 100 créneaux de cours disponibles, il vous faudrait désormais y faire rentrer 117 cours, en moyenne (si vous aviez les moyens enseignants pour augmenter le nombre de groupes. Ce qui n’est pas le cas, de fait). Et en réalité, c’est bien plus compliqué que ça, car les effectifs des formations connaissent des variations à la hausse dans certaines, entraînant une hausse du nombre de groupes (ou des effectifs par groupes) et à la baisse dans d’autres, sans que cela entraîne une suppression proportionnelle de nombre de groupes à caser. Et tout ça dans des salles en nombre fixe, dont les capacités d’accueil sont fixes...

Or, à l’université de Lille, on a plutôt des étudiant⋅es en plus et des salles en moins ces dernières années, pour cause de travaux indispensables (site de Pont de Bois, des salles de cours occupées pour ouvrir une indispensable BU provisoire pendant les travaux de la BU), ou de dommages liés aux phénomènes climatiques (Cité scientifique), ou de déménagements en cours (département de chimie de l’IUT, du Recueil vers la Cité scientifique, etc.)

Grâce aux financements des contrats de plan État régions (CPER) ou de programmes exceptionnels, comme le Plan Campus ou le Plan de relance, la priorité est désormais donnée à la rénovation des bâtiments plutôt qu’à la construction. Cet effort n’est toutefois pas suffisant pour remettre à niveau un parc immobilier dont plus du tiers est dans un état pas ou peu satisfaisant et dont 10 % de bâtiments recevant du public n’obtiennent pas l’agrément des commissions de sécurité.

« Les programmes d’investissement, pour leur part, sont portés principalement par les contrats de plan État régions (CPER), dont le montant global se réduit du fait d’une moindre contribution de l’État compensée par une hausse de la contribution des collectivités territoriales. À la faveur des crises, des programmes exceptionnels ont été mis en œuvre, comme le Plan Campus (3 Md€ versés au 1er janvier 2021) et les programmes d’investissements d’avenir (PIA) après la crise financière de 2008 ou le Plan de relance consécutif à la récente crise sanitaire. L’effet de rattrapage ne suffit toutefois pas à couvrir le besoin global. La multiplication des canaux de financement rend plus difficile la lisibilité de l’effort accompli en faveur des universités et l’irrégularité des moyens qui leur sont consacrés dans le temps est un obstacle à la mise en œuvre de stratégies immobilières s’inscrivant dans la durée.
Le ministère chargé de l’enseignement supérieur estime à 7 Md€ le coût de réhabilitations du patrimoine universitaire, dont 75 % serait en lien avec la transition énergétique et environnementale. France Universités, pour sa part, porte cette estimation à 15 Md€. »

On lit dans le rapport de la CC que le Plan Campus a permis de rapporter 30 millions d’€ environ pour l’immobilier à Lille (dotations + prêts + PPP), mais la seule réhabilitation du patrimoine immobilier dégradé de la Cité scientifique est estimée à 225 millions d’€ minimum…

Le président de l’EPEX a fait approuver par le CA du 13/10/2022 une demande adressée au ministère d’utiliser à titre exceptionnel 100 M€ sur les 500 M€ de la dotation I-Site (dite « non consomptible ») comme apport de l’université pour obtenir un prêt afin d’engager des travaux de réhabilitation de l’immobilier. Cette démarche − au succès incertain (en raison de « l’appel d’air » qu’elle pourrait engendrer, au vu des situations patrimoniales dégradées de nombreuses universités) − amène les observations suivantes :

  • on ne prête qu’aux riches : si de tels montages financiers se révélaient envisageables pour des établissements ayant une dotation « d’excellence », quels seront donc les leviers des établissements universitaires à l’immobilier dégradé mais n’ayant pas bénéficié d’un IDEX ou d’un I-Site pour, eux aussi, améliorer les conditions de travail et d’accueil du public en matière immobilière, alléger leur facture énergétique et contribuer ainsi à la nécessaire et urgente réduction des consommation d’énergie pour ne pas dépasser les 1,5° de réchauffement climatique ?

  • les banques privées qui prêteraient de l’argent pour cela seraient alors des grandes gagnantes, sans risque pour elles en prêtant de l’argent à un organisme public, donc à l’État, grâce aux intérêts qu’elles percevraient sur les prêts accordés (et redistribueraient généreusement à leurs actionnaires...) : ou comment faire du fric privé à partir des deniers publics, auxquels on s’efforce de contribuer le moins possible à travers des méthodes d’évasion fiscale sophistiquées et l’aide active d’un gouvernement n’ayant que leurs intérêts en vue, via les baisses d’impôts...

« La performance énergétique d’ensemble est médiocre, alors même que ce poste de dépense est croissant du fait des augmentations tarifaires et du développement du numérique »

Le rapport note ainsi que « Ainsi, confrontée à la forte hausse des coûts de l’énergie sur la période (+ 9,82 % pour le prix de gros du gaz et + 30,39 % pour le prix de lélectricité entre 2008 et 2012), l’université Lille II a enregistré une progression de 25,69 % de ses dépenses d’exploitation-maintenance de 2010 à 2013, avec une surface en baisse de 2,4 %. »

Les données du rapport de la CC n’intègrent bien sûr pas la hausse faramineuse des coûts de l’énergie constatée en 2022 et celle prévue en 2023. Pour U Lille, la lettre de cadrage budgétaire pour 2023 indique que « montant corrigé des dépenses de fluides 2021 est estimé à 8,872 millions d’€ » et que « Les projections des dépenses 2022 conduisent à évaluer des coûts supplémentaires par rapport aux dépenses 2021 de + 3,904 M€ pour le scénario 1 à +8,434 M€ pour le scénario 3. ». Soit un coût total de 17,3M€ dans ce dernier scénario, en passe d’être dépassé par la réalité. Sans aucune compensation envisagée par l’État de ce surcoût pour 2022. La projection pour 2023 (faite en juin dernier) prévoyait un coût total des fluides 23,3M€ environ, mais ce montant devra être probablement revu à la hausse...

« Les universités ne disposent pas des moyens de remplir leur obligation d’entretien, tant le financement de l’immobilier universitaire reste défaillant. Les moyens accordés pour l’entretien courant, comme pour le gros entretien renouvellement (GER), sont inférieurs au niveau requis pour maintenir le patrimoine en état. De surcroît, la fongibilité des crédits versés par l’État au titre de la subvention pour charges de service public (SCSP) ne garantit pas l’affectation à l’immobilier de la part calculée à cette fin par le ministère. Cette déperdition est d’autant plus accentuée que le montant consacré à l’immobilier dans la SCSP, déjà insuffisant, n’a globalement pas évolué depuis plus de dix ans (140 M€/ an). »

No comment !

U Lille est au même régime que toutes les autres, toute « excellente » qu’elle soit.


France universités (ex-CPU) se réjouit dans son communiqué de presse du 13/10/2022 que le rapport de la CC ait mis ce point en évidence et espère que le gouvernement en tiendra compte dans le PLF2023.
Toutefois, au vu des orientations budgétaires du gouvernement, tournées vers le refus de toute hausse d’impôts des plus riches ou de la taxation des superprofits pour alimenter le budget de l’État, et de son utilisation de l’article 49-3 pour imposer sa ligne malgré sa minorité à l’Assemblée nationale, c’est mal parti ! L’espoir fait vivre, paraît-il, mais la création du rapport de force nécessaire est peut-être plus efficace que l’émission de vœux polis. À quand un mouvement d’entrée en résistance institutionnelle des président⋅es d’université pour faire monter le niveau du rapport de force ?

1 Ainsi, quand on fusionne 3 universités, là où il y avait 3 responsables de service, il n’en reste qu’un⋅e, et les deux autres vivent mal de devenir simplement adjoint⋅es, car c’est vécu comme un recul de la carrière et un manque de reconnaissance du travail effectué auparavant. Aux autres niveaux également, les réorganisations structurelles et les modifications de postes qu’elles induisent provoquent assez fréquemment des sentiments de dépossession de la partie intéressante du travail. Tout ceci entraîne donc du turn-over sur les postes, où les personnes qui sont nommées ensuite ont besoin d’un temps d’adaptation au poste, voire d’une formation complète, en particulier dans le cas où on recrute des contractuel⋅les, faute de titulaires. Et dans ce dernier cas, on a un turn-over fort aussi, surtout sur les postes les plus mal payés ou en concurrence avec le privé, car dès qu’ils-elles trouvent un travail mieux payé, en CDI, les contractuel⋅les n’hésitent pas longtemps... D’où la contrainte pour les titulaires restant dans le service de refaire sans cesse la formation des nouvelles et nouveaux collègues, ce qui fait perdre du temps pour effectuer son propre travail. En fin de compte, souvent, quand le poste le permet, cela finit par une demande de mutation ou un départ vers une autre administration parfois, dans l’espoir de pouvoir travailler mieux… Et cela amène donc dans certains cas à des postes carrément non pourvus !


Voir en ligne : Rapport complet et synthèse