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La LPPR : une gestation de longue date

La note de Gary-Bobo au futur conseiller ESR de Manuel Macron

Où l’on voit que nous ne sommes pas parano !

jeudi 30 janvier 2020, par Claire Bornais, Frédéric Hoogstoel

Ci-joint un texte éclairant quant à l’orientation prise par le gouvernement en matière d’enseignement supérieur et de recherche. Il s’agit d’une note adressée en novembre 2016 par Robert Gary-Bobo, professeur d’économie à l’institut polytechnique de Paris, à destination de Thierry Coulhon, qui allait devenir quelques mois plus tard conseiller d’Emmanuel Macron pour l’ESR ! Vous y retrouverez tous les ingrédients pour cuisiner les réformes de l’ESR, et de manière crue ! ...

Pour celles et ceux qui voudraient voir quelques échantillons dudit texte avant de s’y pencher plus sérieusement, ci-dessous quelques passages très clairs, à rapprocher de la loi de programmation pour la recherche (LPR), de la loi ORE et la mise en place de Parcoursup), mais aussi des extraits concernant les établissements expérimentaux et les statuts des chercheurs et enseignants-chercheurs .

Nous recommandons à tout le monde la lecture attentive de la note de Gary Bobo en entier. A quelques détails circonstanciels près, la ligne politique qu’il propose est celle du gouvernement.
Même s’il n’y a rien de très neuf dedans, car tout ça traîne dans une multitude de rapports de l’OCDE et de think-tanks de droite depuis une bonne vingtaine d’années, l’avantage de la note de Gary-Bobo, c’est qu’il y dit les choses crûment, en 10 pages seulement, et donc c’est très clair !

Morceaux choisis :

  • Il semble important de séparer les deux choses ; savoir où on va (cela peut être utile parfois) et comment on y va (par des chemins parfois un peu sinueux, pour faire avaler la pilule au malade récalcitrant). Donc la première partie de ce texte fera hurler les âmes sensibles car elle ne prend aucune précaution oratoire ; il faut avoir la patience d’arriver jusqu’à la seconde partie pour avoir un peu de baume au cœur.
  • 1. Ce qui serait souhaitable
    1A. Réforme du financement de l’université : développer le crédit aux étudiants, augmenter les droits d’inscription. Le nerf de la guerre.
  • 2A. Crédit et droits d’inscription : faire les choses dans le bon ordre et avec gradualisme
    Comment faire passer la pilule de la hausse des droits d’inscription ?
    Commencer bien sûr par le crédit : ne pas mettre la charrue avant les bœufs
    Il faut certainement commencer par assurer le développement du crédit aux étudiants. Assurer un large accès à un crédit à remboursement contingent pas cher, distribué par les banques —mais aussi à la Poste.
    Arranger le coup avec les banques et le ministère des finances. Le crédit, sous un plafond, sera un droit pour tout bachelier au moment de sa première inscription dans l’enseignement supérieur. L’objectif affiché est de développer l’autonomie des jeunes.
  • 1B. Parachever l’autonomie : gouvernance ; fusions, carrières ; concurrence ; sélection à l’entrée. Le maître mot est ici de réaliser une véritable autonomie (plus ou moins sur le modèle des universités publiques américaines, comme l’Université de Californie).

Séparation des pouvoirs à la Montesquieu
D’une certaine manière, il faudrait prendre le meilleur des deux modèles : celui des grandes écoles, avec leur direction centralisée autoritaire, représentant plus ou moins directement la tutelle, et celui de l’université vue comme partenariat de professeurs cooptés, mais sans autonomie administrative. Il faudrait de vrais conseils d’administration (CA) représentant les tutelles (et l’intérêt public), aux effectifs limités, composé pour l’essentiel de membres extérieurs rémunérés, avec un président qui est un manager professionnel de l’enseignement supérieur (pas forcément choisi parmi les professeurs de l’université).
Mais il faut contrebalancer ce pouvoir exécutif : il faut donc un vrai sénat académique réunissant les professeurs titulaires (et eux seuls : car il faut désyndicaliser les universités) ; s’occupant de recrutement (sur les postes ouverts par la présidence) et des promotions d’enseignants (proposant les titularisations), déterminant la politique scientifique, et la politique d’enseignement par un dialogue avec le CA et la présidence. Un prévôt (vice-président) devrait représenter les professeurs au CA.

  • La liberté de sélection...et l’ « orientation »
    Un complément indispensable des réformes proposées ci-dessus est la liberté pour tous les établissements d’enseignement supérieur de sélectionner leurs étudiants. C’est un point essentiel et cela ne signifie nullement qu’il y aura un rationnement de l’accès aux études : car il y a de la place ! Les établissements pourront redéployer les ressources consommées dans la gestion de la sélection par l’échec (car le redoublement coûte cher !). Plus encore, redresser la qualité des enseignements de licence classiques est une mission sacrée car la dévalorisation des diplômes est à l’œuvre et c’est la source d’un coût social considérable qui mine la réputation de l’université auprès du public. Il faut donc permettre aux universités de sélectionner dans la plupart, sinon toutes, leurs formations. Il faut le faire aussi pour leur permettre de lutter à armes égales avec les écoles, petites ou grandes.
    Créer des genres d’IUT un peu partout. Il faut développer l’enseignement supérieur professionnalisé du type DUT et(ou) les licences dites professionnelles. C’est ce à quoi aspire un large public. Inutile de revenir sur l’absurdité, maintes fois démontrée, qui consiste à inscrire en lettres classiques, en droit ou en géographie, un étudiant qui a été refusé en IUT de techniques de gestion. Les directeurs d’IUT sont-ils malthusiens et jaloux de leur privilège de sélection ? Créons alors au sein des universités, ou à côté, des instituts du même genre, qui feront le même genre de travail, sous un nom un peu différent. Cela sera socialement utile ; cela coûtera aussi des ressources substantielles, qui ne pourront bien évidemment pas être investies ailleurs...Mais cela réglera une très grande part du problème de la « sélection-orientation », cela délestera les premiers cycles classiques, dont il faut redresser la dignité.
  • Y aller doucement mais commencer tout de suite avec les droits d’inscription
    Il y a urgence à trouver des ressources nouvelles pour les universités et il faut se jeter à l’eau. Les droits d’inscription devraient être portés à 1000 euros par étudiant et par an dans les trois années de licence. En master, c’est déjà plus que 1000 euros (cf. les « masters internationaux »). On pourra laisser les établissements fixer leurs droits en master sous un plafond réglementaire (du genre 10000 euros, ou moins, si cela paraît trop).
    Les étudiants auront droit à un prêt de 1000 euros de la banque de leur choix (au besoin, de la poste) pour une première inscription. On peut laisser la possibilité d’opter pour une redevance payable à l’Etat à la fin des études, pour frais de scolarité, pendant plusieurs années, et qui apparaîtra sur la feuille d’impôt ou sur la feuille de paye (retenue à la source) mais on pourra aisément faire en sorte que ce soit plus intéressant d’emprunter à une banque.
  • On peut imaginer maintenir dans chaque université quelques formations de licence quasi-gratuites (250 euros) dans les grandes disciplines, à côté de formations payantes, avec une capacité minimum, comme un « droit opposable » pour des bacheliers à s’inscrire en fac. L’ancien système à côté du nouveau. ces formations gratuites seront bientôt désertées, sauf par les militants de l’UNEF, qui mettent 6 ans à faire une licence. Le point crucial est ici de permettre aux universités d’innover et d’espérer gagner des recettes nouvelles.

Instaurer la sélection mine de rien
Il faut instaurer la sélection sans faire de vagues en réglant du même coup la lancinante question du diplôme national, auquel sont si attachés les syndicats (et l’UNEF au premier chef). Les nouvelles formations ne seront pas des licences, elles seront des bachelors (cela existe déjà : rien d’extraordinaire).
Les bachelors pourront sélectionner à l’entrée comme ils voudront et faire payer des droits (au départ 1000 euros). Ils donneront l’équivalence de la licence, soit un diplôme national, quand c’est justifié, et la possibilité de postuler en master bien sûr. A côté du nouveau survivra donc l’ancien : des formations de licence non-sélectives et quasi-gratuites qui donnent le même diplôme national qu’avant. On pourra même exiger dans un premier temps que les universités maintiennent ouvertes au moins quelques formations de licence selon le mode ancien : au nom de la « défense du service public contre la marchandisation », mais en même temps, on doit permettre aux universités d’innover et d’affronter la concurrence internationale en Europe, etc, etc.

  • Il faut bannir du vocabulaire les mots de concurrence et d’excellence, détestés par les syndicats d’enseignants et d’étudiants. Remplacer ces mots systématiquement par ouverture et diversité. Dans un système ouvert et divers, on répond aux demandes des jeunes et des familles, on permet à chacun d’aller aussi loin que ses capacités le permettent. La sélection ne signifie pas exclusion mais plutôt orientation. En contrepartie les universités devront ouvrir des formations adaptées aux étudiants mal préparés, issus des séries de bac techno ou pro. Il n’y aura aucun rationnement, aucune exclusion.
  • 2B. Réforme de la gouvernance : rien d’obligatoire. Permettre aux établissements d’opter pour un nouveau système
    Le maître mot ici aussi est la liberté d’option
    On ne forcera pas les universités à se réformer : on proposera à celles qui le souhaitent (en manifestant éventuellement ce souhait par un vote) de se doter de nouvelles institutions ; c’est à dire sortir du cadre Edgar Faure – Savary – Pécresse modifié Fioraso, qui restera en place là où une majorité le souhaite. Le gouvernement mettra un peu de sucre dans le café, pour rendre plus agréable la perspective d’un « saut dans l’inconnu ». Par ce moyen, on permettra à la gauche traditionnelle de continuer à contrôler certains établissements en s’appuyant sur des coalitions syndicales alliant personnel ATOS, enseignants et représentants étudiants. Faire la part du feu de cette manière est donc ce qui anéantira l’essentiel des oppositions à la réforme. Une grande part du blocage vient en effet de ce qu’il faut, à tout prix semble-t-il, que l’UNEF, le SNESup et d’autres syndicats puissent continuer à contrôler des bastions universitaires, et de ce que l’UNEF est protégée « en haut lieu » en tant que pépinière de cadres du PS. Pendant ce temps, d’autres universités pourront adhérer à un autre système dont nous avons ci-dessus dessiné les possibles grandes lignes. Lorsque le mouvement sera engagé les facs réfractaires voudront aussi se doter des nouvelles institutions pour ne pas louper le coche. Mais cela prendra du temps— le temps que ces gens se disputent entre eux et règlent leurs comptes.
    Créer une nouvelle catégorie d’établissement public ? Libérer les énergies universitaires
    Peut-être faut-il créer une nouvelle catégorie d’établissement public qui pourrait s’appeler « université autonome » (l’idée d’autonomie universitaire devrait plaire à la gauche, la vraie). Un cadre assez général qui permette aux établissements de paramétrer leurs institutions en respectant plusieurs principes importants (dont la sacro-sainte séparation des pouvoirs universitaire et exécutif décrite ci-dessus, qui est extrêmement importante pour assurer un équilibre de très long terme : pensons à Harvard, créée au 17ème siècle).
    En adhérant au mouvement des universités autonomes, les professeurs accepteraient le principe de la sélection à l’entrée, de la tarification des études (droits d’inscription), de recrutements et titularisations suivant le principe d’une tenure track à la française (crucial, mais sans que ces dispositions concernent obligatoirement tous les recrutements d’enseignants), la séparation des pouvoirs entre sénat académique et CA ; une représentation forte des tutelles dans le CA ; la nature managériale de la présidence. A cela il faut ajouter bien sûr : les « responsabilités et compétences élargies », le droit de signer des contrats de travail de droit commun, la propriété des bâtiments et des terrains, l’autonomie budgétaire et peut être même un affranchissement plus grand encore de certaines règles du droit public classique, sans enfin exclure la signature de contrats avec les collectivités territoriales et le gouvernement. La question de la propriété intellectuelle (brevets) et de la création d’entreprises innovantes auprès ou dans l’université reste une question majeure qui demande une réflexion approfondie. De même, le problème des relations avec le secteur privé reste matière à discussion (on nous permettra de ne pas ouvrir ici cette boîte de Pandore).
  • Dualité enseignement supérieur-recherche
    Une plaie française — mais ce n’est pas vécu ainsi par les agents du CNRS, qui y voient un grand avantage, sauf qu’ils sont mal payés et que leurs carrières sont lentes : c’est un triste privilège dans ces conditions de n’avoir pas de cours à donner. Il y aussi la crainte légitime que certaines universités soient incapables de soutenir sérieusement la recherche ; la peur des chercheurs de prendre un risque incontrôlable en cas de changement dans la structure du pouvoir.
    On doit pouvoir continuer à réunir les laboratoires et les chercheurs aux établissements d’enseignement supérieur, mais à nouveau, en prenant soin de ne pas détruire ce qui marche à peu près bien (ou très bien parfois) au nom du rêve d’un avenir meilleur (et lâcher la proie pour l’ombre). Il faut donc poursuivre et faire évoluer des formes d’association souples entre universités et labos qui permettent de produire de la bonne recherche.
    La question la plus délicate est celle des statuts des personnels. Il faut appliquer aux agents des grands organismes la « clause du grand-père » (les anciens gardent leurs droits acquis)  ; mais permettre à tous d’opter pour des formules de rapprochement avec l’université intéressantes pour eux (enseignement contre rémunération) ; cesser de recruter de la manière traditionnelle des chercheurs à vie. Le CNRS devrait poursuivre sa transformation en agence de moyens et cesser complètement de recruter des personnels administratifs ou techniques avec un statut de fonctionnaire.
  • Le CNRS a un rôle à jouer comme agence de moyens et devrait s’appuyer sur les établissements (universités et écoles) qui prétendent faire une recherche de niveau international. Le soutien à la recherche pourra prendre la forme de chaires et laboratoires cofinancés par l’université et le CNRS. On pourra recruter des jeunes chercheurs sur des postes de recherche (avec moins d’enseignement) et pour lesquels le CNRS versera de l’argent de manière récurrente aux universités (co-financements de postes ; cela existe déjà).
    Mais on mettra en extinction la gestion directe de personnels. On arrêtera ce folklore des comités nationaux accordant au compte-goutte des promotions, et les concours nationaux de recrutement. Plus de chercheurs à vie, mais des contrats renouvelables d’enseignants-chercheurs avec le CNRS (décharge de service contre pages publiées, de type IUF).
    A court terme, les choix des agents du CNRS doivent rester optionnels et sur une base volontaire : maintien des droits acquis et « clause du grand-père ». De toute façon, les chercheurs du CNRS sont très mal payés. Donc s’ils refusent d’évoluer, on économisera de l’argent public. Ceux qui voudront (et qui auront les talents nécessaires) pourront faire de l’enseignement et être payés en plus pour cela. Cela semble assez simple.

Voir en ligne : La note sur Wikileaks


Bien que les MacronLeaks soient suspectés d’avoir été trafiqués, nous pensons qu’on peut raisonnablement se fier à la véracité de ces documents, car ils ont été manifestement écrits par quelqu’un connaissant très bien le milieu ! D’autre part, R. Gary-Bobo y joint une parution prévue en 2017 aux presses de Sciences Po , ce qui a été le cas, voir [ici]