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Evaluation HCERES : la pensée tableur en action pour imposer l’approche par compétences dans les formations ?

Petite analyse statistique par la FSU des résultats pour U Lille

mercredi 5 mars 2025

Comme les autres établissements concernés par la vague E, l’université de Lille a reçu mi-février deux rapports provisoires du Haut Conseil de l’Évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur. Comme ailleurs, les avis défavorables sont en nombre anormalement très élevé. Au niveau national, le nombre d’avis défavorables en vague E s’élève à 364 sur environ 1400 formations évaluées, soit près de 26%, dont une grande majorité dans le 1er cycle – licence, licence professionnelle, BUT (Dépêche AEF n°726674, publiée le 18/02/2025).

À Lille, sur les 206 formations évaluées, 67 formations ont reçu un avis défavorable ou réservé, dont 49 sur 105 pour le cycle 1. Près d’un tiers des formations de notre établissement ont donc reçu un avis défavorable ou réservé (32,5%), soit 6 points de plus que la moyenne de la vague E. Surtout, ce chiffre s’élève à 46,6% pour le cycle 1 et à 17,8% pour le cycle 2. Et ces avis sont très majoritairement défavorables. L’avis réservé, qui appelle un besoin de compléments d’informations sur une majorité de critères de l’auto-évaluation, ne concerne que cinq formations : deux dans le premier cycle et trois dans le cycle 2. 30,1 % des formations ont donc reçu un avis défavorable, essentiellement dans le premier cycle, mais dans tous les grands secteurs disciplinaires.

Concernant les masters : un master sur les cinq du secteur Arts, langue et littérature, sept masters sur les trente du secteur Droit, Économie, Gestion ; quatre sur les dix-huit du secteur Sciences Humaines et Sociales ; trois sur les trente du secteur Sciences, Technologie,Santé.

Concernant le premier cycle : les avis défavorables concernent très massivement les formations qui attirent les étudiant·es les moins doté·es en ressources scolaires, économiques et sociales qui se destinent à des études courtes et rapidement « professionnalisantes ». Si six licences sur quarante ont reçu un avis défavorable (dans les secteurs SHS et STS), près de la moitié des BUT (6 sur 13) et la grande majorité des DEUST (7 sur 9) et des licences professionnelles (19 sur 27) sont concernées par des avis défavorables, ce qui représente 7357 étudiant·es (environ 10% des effectifs globaux). Notons ici qu’aucune licence professionnelle en SHS n’a trouvé grâce aux yeux des évaluateur·ices, mais des avis défavorables concernent là encore, comme en second cycle, tous les secteurs.

Les critères et leur nombre pour justifier les avis défavorables diffèrent en fonction de la typologie de diplôme. En général, une combinaison d’arguments est mobilisée. Dans le premier cycle, l’argument le plus courant concerne l’insuffisante mise en situation professionnelle (16% du total des arguments), le taux de réussite (14%), le défaut de conseil de perfectionnement (13%), l’insuffisante insertion professionnelle (11%), la faible attractivité (11%), l’insuffisante participation d’intervenant·es du monde socio-économique (10%), le faible adossement à la recherche ou la moindre présence d’enseignant·es-chercheur·euses (8%) et d’autres arguments plus rares ciblant d’autres « absences » ou « insuffisances » (suivi des diplômé·es, positionnement par rapport aux autres diplômes, cohésion interne de la mention, cours de langue étrangère, évaluation des enseignements par les étudiant·es).

En master, les chiffres sont plus faibles mais les deux arguments majeurs sont le taux de réussite (n=11) et l’insertion professionnelle (n=6). De manière assez brutale, il arrive que la non satisfaction d’un critère suffise pour emporter un avis défavorable. Cela concerne 11 formations du premier cycle.

De manière crescendo, les arguments concernent une faible attractivité de la formation, un taux de réussite trop faible (argument mobilisé pour deux licences du secteur STS, qui comptent respectivement 1472 et 1222 étudiant·es, et sans tenir compte du fait que cet indicateur inclut les réorientations, nombreuses en L1), l’absence de conseil de perfectionnement pour trois formations, dont une licence en SHS qui compte plus de 2600 étudiant·es, une « insuffisante qualité de la professionnalisation », c’est-à-dire la moindre présence de professionnel·les extérieur·es pour trois formations et enfin une « qualité du devenir des diplômés insuffisante (taux de poursuite d’étude trop élevé) » pour trois formations. Pour plus de détails, vous pouvez consulter le tableur produit par nos soins en document attaché à cet article.

Ces résultats de l’audit réalisé par l’HCERES sur l’université de Lille s’expliquent en réalité par le choix d’indicateurs discutables et par la non prise en compte du contexte économique et social des étudiant·es et des formations.
Rappelons en effet que la population étudiante de U Lille est composée de boursiers à hauteur de 47%, de personnes assurant une activité rémunérée en parallèle de leurs études à hauteur de 30%, de personnes en situation de précarité alimentaire à hauteur de 30% (enquête ODIF). Cela nuit inévitablement aux taux de réussite des étudiant·es et ce malgré toutes les initiatives, salutaires mais insuffisantes, que l’université met notamment en place. Parallèlement, la situation économique dégradée du bassin d’emploi rend plus difficile l’insertion professionnelle. Le déficit d’encadrement explique la moindre présence d’enseignant·es-chercheure·euses dans certaines formations ainsi que la difficulté à assurer parfois un suivi de qualité des étudiant·es. Or, ce déficit d’encadrement est le résultat d’une subvention pour charge de service public de la part du Ministère inférieure, au niveau national, aux besoins, mais même moindre, à U Lille, que pour d’autres universités comparables. Enfin, la faible attractivité s’explique parfois par la concurrence forte des formations privées, qui bénéficient à Lille de plus d’appuis institutionnels qu’ailleurs, parfois par les effets des réformes délétères de l’enseignement secondaire.

L’effet « Parcoursup », cette formidable machine née de la loi Orientation et Réussite des Etudiants, qui a supprimé la hiérarchie des vœux, n’est pas du tout interrogé [1]. Il en est de même pour la plateforme MonMaster dont l’efficacité des appariements est tout aussi discutable. Pour reprendre l’analyse de la sociologue Annabelle Allouch, ces deux procédures présentent en effet une dimension « économiciste » en ce qu’elles distribuent les places à celleux qui seront les plus performant es pour les occuper, dans une logique de marché où il faut faire correspondre une demande à une offre, en contexte de tensions entre moyens alloués et démographie étudiante.
Non seulement ce contexte n’est pas pris en compte, mais les arguments sont parfois contradictoires. On atteint ainsi les limites de la pensée tableur quand, à propos de certains DEUST, sont fustigées tout à la fois la faible intervention de professionnel·les extérieur·es et l’insuffisante implication des enseignant·es-chercheur·euses ou quand est reproché, à des formations de licence professionnelle, pour des raisons qu’on ne se donne pas les moyens de comprendre, que leurs étudiant·es poursuivent leurs études en second cycle.

De plus, l’évaluation HCERES – ne serait-ce que par le choix des indicateurs - n’est pas une procédure neutre. Elle est orientée par une vision de l’université qui repose sur la seule employabilité des diplômé·es (plutôt que sur l’émancipation par les savoirs), la sélectivité des formations, leur « rationalisation » (chasse aux « redondances ») et la faible place accordée aux réorientations de jeunes adultes dont l’avenir devrait être tracé dès le collège ! A propos du taux de réussite, une phrase du rapport (qu’on espère vraiment) provisoire [2] pour le premier cycle (p. 15), condense tout cela :

L’université suscite de nombreuses candidatures lui permettant de se rapprocher et souvent d’atteindre ses capacités d’accueil, mais au risque de recruter des étudiants avec des lacunes de prérequis

Faut-il en déduire que la sélectivité à l’université – dont l’accès, pour rappel, repose sur la détention du baccalauréat – ne peut s’opérer que par la baisse des CAL, à l’exception de quelques formations (IUT) ? On voit d’ici le plus grand profit des formations privées qui en découlerait.

Enfin, à l’heure où les directrices et directeurs de formation planchent sur la nouvelle offre de formation, les deux rapports sont guidés par la promotion de l’approche par compétences (APC), dont l’imposition ne repose sur aucune base réglementaire. Le déploiement de l’APC encore « incomplet », les BCC jugés de « façade », le recours insuffisant aux situations d’apprentissage et d’évaluation, la non mise en œuvre de la démarche portfolio…, sont systématiquement soulignés dans les points faibles et recommandations pour l’offre de formation globale ainsi que dans les recommandations spécifiques à la majeure partie des formations, y compris celles ayant obtenu un avis favorable (pour cette fois-ci).

Nous avons quelques semaines pour nous faire entendre dans le « dialogue » avec le HCERES. Celui-ci ne peut pas seulement passer par des réponses individuelles (à l’échelle de chaque formation), particulièrement chronophages et ingrates. Alors que ces rapports ont déstabilisé nombre de collègues responsables de formation, dont le travail est nié, il faut échanger, se rassembler et sortir de l’isolement et de la concurrence qu’on veut nous inculquer. Il est nécessaire de se mobiliser collectivement face à une machine qui, sans aucune base réglementaire, limite nos libertés pédagogiques et académiques tout en nous rendant responsables du contexte économique et social de notre territoire et de notre université.


[2Comme tient à rassurer, dans la dépêche AEF citée ci-dessus, notre ancienne collègue Lynne Franjié, directrice du département d’évaluation des formations du HCERES, ce taux élevé d’avis défavorables est « la conséquence d’une simplification de l’évaluation » : ces rapports et avis sont « provisoires dans le cadre d’un processus qui est en cours » et « le dialogue n’est pas terminé » (des « experts » de l’HCERES ont encore rencontré fin février des élus des conseils centraux). Cette spécialiste de l’évaluation – capable d’évaluer en un weekend des dizaines de milliers de dossiers Parcoursup en 2018 (et de lire toutes les lettres de motivation !) au sein d’une super commission d’évaluation des vœux qu’elle avait imaginé pour contourner l’opposition à Parcoursup d’une dizaine de départements lillois – explique la démarche : « Jusqu’à la vague D, on évaluait d’abord le ’bilan’ des formations, à l’issue duquel le HCERES signalait des ’formations en points d’attention’, qui pouvaient être aussi en nombre important à l’échelle d’un établissement ou de la vague. Toutes les formations devaient déposer un projet et répondre aux recommandations du HCERES, ce qui permettait de lever certains ’points d’attention’ à l’issue de l’évaluation dans la phase ’projet’. À partir de la vague E - et avec l’accord du MESR et des établissements, qui ont salué ce changement – il a été décidé de simplifier le processus, en donnant plus de poids à l’évaluation du bilan et à l’autonomie pédagogique des établissements. » Ainsi, le HCERES donne « désormais directement un avis d’accréditation dès la fin de la phase ’bilan’. »