Accueil > Enseignants-chercheurs et enseignants > Continuité pédagogique : où sont les limites ?

Continuité pédagogique : où sont les limites ?

Expression du SNESUP-FSU de l’université de Lille

dimanche 29 mars 2020

Le courriel de la présidence envoyé à tous les enseignants le lundi 23 mars à 20h15 appelle quelques remarques du SNESUP-FSU, et aggrave ses inquiétudes quant aux possibilités d’interprétation individuelle « zélée » qu’il comporte, pouvant induire des pressions psychologiques fortes sur les collègues.

Or, notre organisation syndicale a déjà été informée de l’existence de tels comportements, qui ont entraîné des réponses variables de la part des directions des composantes ou services concernés, et il convient de ne pas les laisser se développer. La FSU a alerté sur ce point dans une contribution au CA convoqué à distance du 24 au 27 mars [1].

Aussi le SNESUP-FSU demande-t-il au président de bien vouloir préciser clairement les limites de ce qui est exigible des collègues, et sur quelle réglementation repose l’assertion : « Durant la période de confinement, assurer la continuité pédagogique des enseignements (et des évaluations attenantes) relève des obligations de service de chacun. ».

Nous demandons également que la direction s’engage par écrit à considérer comme faites toutes les heures d’enseignement prévues dans les emplois du temps des collègues durant la période de fermeture, quel que soit leur statut (titulaire, contractuel ou vacataire) ainsi que cela a été indiqué oralement au début de la crise.

Le principe de continuité du service public ne saurait prévaloir sur celui de l’indépendance des enseignants-chercheurs, lesquels ont tous deux la même valeur constitutionnelle. Tout au plus est-il loisible au législateur, et à lui seul, d’en combiner les applications à des fins d’intérêt général, sous le contrôle du juge. Aussi la notion de continuité pédagogique – inventée comme découlant du principe de continuité du service public à l’occasion de cette pandémie – ne saurait-elle se décliner au gré des autorités ministérielles ni universitaires, encore moins des collègues en situation de responsabilité de formation, de service ou de composante, en fonction de leur imagination plus ou moins fertile en matière de dispositifs de contrôle de leurs collègues, ou de leur (in)capacité à concevoir que les situations individuelles des collègues et étudiants sont très diverses, et, enfin, en-dehors de toute compétence et de tout formalisme décisionnel.

Dans cette situation inédite de crise sanitaire, parler de « continuité pédagogique » est clairement un abus de langage : le confinement instaure, de fait et de droit, une « rupture » par rapport au fonctionnement habituel. Chacun de nous, contraint de travailler à distance, dans des conditions totalement improvisées, s’efforce de s’adapter, cherche à compenser autant qu’il le peut les effets de cette rupture, mais il est vain, et dans certains cas dangereux pour la santé des agents d’entretenir la fiction d’une simple « continuité ». En outre, chacun d’entre nous constate chaque jour que ce travail à distance peut aller bien au-delà du travail habituel, en termes de consommation de temps et d’énergie, ce qui justifie plus qu’amplement de décider que les services prévus sont faits : ils le sont même souvent au-delà de leur volume validé par les conseils de composantes.

Enseignant.e.s, titulaires, non titulaires et vacataires, et personnels de l’administration, titulaires ou contractuel.le.s, nous vivons et vivrons dans des circonstances hétérogènes et qui ne peuvent pas être normées. Les conditions matérielles de confinement, d’approvisionnement, d’accès à une connexion, la présence d’enfants, de parents, la maladie de soi ou d’un proche, dès aujourd’hui ou plus tard, ou encore l’anxiété, etc., créent des situations diverses, mais qui ont toutes en commun d’être incompatibles avec un fonctionnement « normal ». Certains peuvent travailler à plein-temps, d’autre à temps très partiel, d’autres pas du tout, et les situations vont nécessairement évoluer.

Il est donc illusoire et dangereux de demander un « reporting » serré des activités réalisées (comme cela nous a été signalé), ou de chercher à délivrer des notes à un rythme ordinaire et coûte que coûte, comme le laisse entendre ce message du 23 mars, qui préempte par ailleurs les éventuelles décisions de la CFVU en matière d’évaluation des connaissances. Plus que jamais, ce type d’injonction complique les situations déjà difficiles. En aucun cas, inciter – ne serait-ce qu’implicitement – par des attentes démesurées, les personnels à travailler, par exemple, le soir – quand les enfants sont couchés – ou le week-end n’est une solution. Toutes et tous attachés au service public, nous faisons déjà et continuerons de faire ce que nous pourrons, comme nous le pourrons – et en fonction, notamment, de l’accessibilité des outils qui nous sont recommandés ! –, pour maintenir un lien pédagogique avec les étudiant.e.s, mais les solutions que nous trouverons seront nécessairement diverses et « artisanales ».
De telles injonctions, quelles qu’en soient les formes, procèdent implicitement d’un doute quant à notre attachement à nos missions et notre attention aux besoins des étudiant.e.s, doute susceptible d’engendrer un sentiment de culpabilité, alors qu’il convient manifestement, tout au contraire, d’afficher la plus grande confiance en notre intégrité professionnelle.


Voir en ligne : Sur le site national du SNESUP-FSU : "continuité pédagogique, méfiance..."


[1en deuxième partie du texte de cette contribution