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Vigilance sur les injonctions à la "continuité pédagogique" 

dimanche 22 mars 2020, par Claire Bornais

Contrairement au principe de continuité du service public, dont elle semble abusivement découler, la notion de "continuité pédagogique" est problématique et relève plus en pratique d’une discontinuité voire d’une cascade d’interruptions pour celles et ceux qui n’ont pas accès aux réseaux. Il conviendrait plutôt de parler de rupture ou de fracture pédagogique car, non, tout ne se passe pas comme si les affaires continuaient, à la seule différence que nous sommes chez nous et que les étudiant.e.s ne sont pas en face de nous. Tout est différent, incertain, anxiogène et, dans nombre de cas, le travail pédagogique devient impossible. Pas seulement du point de vue des enseignant.e.s, mais aussi du point de vue des étudiants, qui ne sont pas tous équipés, ni préparés, ni disposés à subir un enseignement à distance, numérisé. Faut-il encore rappeler l’ampleur de la précarité étudiante ? Veillons collectivement à ce que la continuité à tout prix ne se transforme pas en une véritable fracture pédagogique. Sans jouer les prophètes de malheur, le stress lié à l’irrésistible développement de la pandémie et l’hécatombe à venir doivent nous inviter à modérer nos ambitions. 

De surcroît, outre l’impossibilité pour certains étudiants de se connecter sur une plateforme pour du “e-learning” (apprentissage en ligne), la continuité pédagogique proposée par le ministère et de nombreux établissements pose une multitude de problèmes.

Du point de vue de la sécurité informatique, la prudence doit rester de mise au vu de la profusion des outils pas forcément désintéressés/gratuits/localisés en France ou pas, qui peuvent présenter des dysfonctionnements en particulier lors de la saturation du réseau. On assiste actuellement à une recrudescence d’attaques informatiques dans le secteur de l’ESR, ce qui nécessite d’avoir un anti-virus efficace souvent à la charge de l’enseignant et de l’étudiant, ce qui représente un coût non négligeable non pris en compte par l’établissement. La note de la DSI en date du 16 mars, et rappelée par un nouveau message le 19 mars, est parfaitement claire sur ce point :

Les ordinateurs personnels peuvent être utilisés pour l’accès à toutes les applications ne nécessitant pas une connexion VPN, en revanche il est interdit de se connecter en VPN à partir d’un ordinateur personnel au regard des risques de sécurité que cela induit sur le système d’information de l’université. Il est également interdit de déménager à son domicile son ordinateur de bureau.

Surtout, ce n’est PAS du télétravail règlementaire. Ces systèmes d’apprentissage en ligne sont un véritable cheval de Troie car ils peuvent permettre à une administration mal intentionnée de contrôler à distance le travail des enseignant.e.s. C’est une atteinte grave à leur indépendance, à la liberté académique, c’est-à-dire la liberté d’enseigner en plus de celle de faire de la recherche (article 57 de la Loi n°84-52 du 26 janvier 1984 sur l’enseignement supérieur). Rappelons encore que la liberté pédagogique permet à chacune et chacun d’apprécier les conditions de délivrance des enseignements. Les injonctions d’où qu’elles viennent, en particulier de collègues “bien intentionnés” qui ne sont pas nos supérieurs hiérarchiques (invoquant le sacro-saint "intérêt des étudiants"), ne sauraient la remettre en cause. Et ne nous habituons pas à utiliser des technologies dont la généralisation pourra justifier, plus tard, la réduction des emplois. 

Il est important de prendre le temps de réfléchir au bouleversement de notre posture pédagogique qu’implique l’enseignement à distance, de fixer des règles d’usage et de fonctionnement (heures et moyens pour se joindre), en songeant à se protéger aussi, dans la durée, face aux risques psycho-sociaux inhérents à ce type d’activité. L’adaptation des enseignements en présentiel à des modalités d’enseignement à distance nécessite un travail de conception important voire considérable qui ne peut être exigé en quelques jours. S’investir dans l’usage des applications et ressources en ligne nécessitent des formations voire une autoformation chronophage. Nous mettons en garde les collègues sur le fait que cet investissement ne doit pas mettre en danger leur santé ni détériorer les relations avec leurs proches, qui plus est dans le contexte actuel de confinement.

Le 5 mars, l’université et la recherche se sont arrêtées. Une semaine plus tard, le coronavirus les a fermées. Plutôt que de foncer tête baissée dans le télétravail et l’enseignement à distance, cette crise sanitaire inédite est une ultime invitation à faire une pause, à réfléchir au sens de nos métiers, gravement altérés par les multiples réformes de l’ESR.
Jamais les revendications portées par notre syndicat et les autres organisations partenaires n’auront été aussi évidentes : plus de moyens pour les services publics et en particulier pour la santé, pour l’éducation et l’enseignement supérieur et la recherche. La politique des objectifs court-termistes imposés à la recherche, par le financement sur appels à projet combinés à la disette budgétaire, montre de façon éclatante ses limites. Revenir à des financements récurrents et suffisants pour la recherche, afin de lui permettre d’être détachée des lobbies de toutes sortes est une nécessité. Souvenons-nous en toutes et tous quand nous sortirons du confinement !