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Explication du vote contre les statuts de l’EPEX par les élus FSU et CGT

par Thomas Alam

dimanche 25 avril 2021

M. le Président, chers membres du conseil d’administration.

Je commencerai l’explication de vote de la liste Alternative (FSU-CGT) en vous rappelant d’abord que je suis aussi enseignant-chercheur en science politique. Je pense que c’est important de préciser que je suis spécialiste de la réforme de l’Etat et notamment des politiques de santé. J’ai co-dirigé un ouvrage collectif qui porte sur la création des agences régionales de la santé, et j’ai déjà eu l’occasion d’insister sur les analogies frappantes entre la réforme de gouvernance des universités et celle de la gouvernance hospitalière et la création des ARS.

Cette présentation s’appuie aussi beaucoup sur le travail de recherche et d’expertise mené par le collectif Epexit, lui-même nourri par de nombreux échanges avec des universitaires d’autres sites : à Lyon, à Nice, à Toulouse, à Pau, à Montpellier (où un EPE est aussi en construction).

Je crois que l’on pourra tous s’accorder pour dire que nous avons nourri le débat sur l’EPE lillois. Nous sommes parvenus à rendre lisible le véritable enjeu du vote de ce jour. Aujourd’hui, trois ans après la fusion qui n’est pas encore complètement digérée, c’est un vote « historique », qui se présente à nous.

Nous le voyons bien, à travers les messages de soutien de partout en France, les appels nombreux et parfois inattendus, la présence des parlementaires et des candidats aux régionales au rassemblement d’aujourd’hui, notre travail aura été utile. L’organisation du referendum en particulier aura permis que chacun s’approprie le débat, en dépit de la situation sanitaire et c’était l’objectif premier quand on vous a demandé d’organiser une consultation officielle : réenchanter la démocratie universitaire.

Alors ce qu’on vous propose aujourd’hui, c’est d’abandonner les postures partisanes, d’abandonner les rivalités d’hier et insister plutôt sur ce qui nous réunit au sein de ce conseil : notre attachement commun à la démocratie universitaire et au service public.

Je passe vite sur le premier point que nous voulions aborder, ces choses sont connues et ne feront que nous diviser. Je passe vite sur ces premières diapositives, nous n’allons pas nous déchirer par exemple pour savoir si le doyen de la FaSest a respecté l’article 9 des statuts de sa composante… mais convenons a minima que la légitimité de l’EPE est contestable. Contestable déjà parce que cette réforme de gouvernance n’a pas été débattue au Parlement, contestable aussi parce que nos représentants élus au CNESER ont un émis un avis défavorable qui n’a pas été entendu. Localement, trois vice-présidentes ont démissionné, de nombreuses composantes ont voté des motions pour demander un referendum, ont plus ou moins confirmé ces votes (6,7,8… peu importe). Ce qui est sûr, c’est que le récent vote de l’élection partielle en collège B a été très clair, que l’avis du CHSCT de mardi est très critique, le CT aussi, mais surtout le Conseil académique de jeudi dernier, la CFVU et la CR, n’ont pas adopté la délibération. Chacun sait ce que cela veut dire.

Le deuxième axe de notre explication porte sur la place de l’EPE dans la succession des réformes gouvernementales de l’ESR. Ce que nous nous apprêtons à voter, chacun doit en avoir conscience, s’inscrit dans un projet global, et nous devons choisir si nous souhaitons participer à cette "révolution silencieuse" de l’ESR (pour reprendre le titre du juriste S. Bernard).

Ce projet global, qui poursuit le chemin tracé par la LRU, a notamment été théorisé par l’expert Robert Gary Bobo dans sa note au candidat Emmanuel Macron. J’ai surligné en jaune, car le temps est compté, les points importants. L’objectif est, et on y est presque, voire déjà par endroits, y compris à l’université de Lille, l’objectif c’est : l’augmentation des droits d’inscription. Pour cela, il fallait d’abord introduire la sélection sans le dire, sans faire de vague. [diapo]

Le chapitre qui nous intéresse, c’est celui-ci : j’insiste sur les termes « Rien d’obligatoire », « liberté d’option », « libérer les énergies », qui font écho à « l’ouverture du champ des possibles » de M. Camart dans son discours du lundi 12 avril.

De quoi s’agit-il en somme ? et j’aurais pu fluoter toute la page, il s’agit de nous inciter à faire un « saut dans l’inconnu » de manière volontaire et expérimental. Il s’agit de sortir du code de l’education et de nous inciter à le faire en « mettant du sucre dans le café » : introduire une place plus grande des personnalités extérieures non élues, des tutelles en particulier et présidentialiser encore plus l’université. L’objectif ultime restant l’augmentation des droits d’inscription. Nous, nous n’y sommes pas favorables mais nous concevons très bien que certains voient cela d’un très bon œil. Mais il faut que ceci soit clair pour tout le monde, c’est un des enjeux du vote d’aujourd’hui, et l’on ne vote pas sur « le sucre dans le café qui justifie tout ». Le vote d’aujourd’hui est un vote historique, ce n’est pas pour rien que nous nous sommes mobilisés avec autant d’énergie et de solidarité, ce n’est pas pour rien qu’il y avait autant de monde devant le siège en dépit de la pandémie.

Dans les statuts, la sortie du code de l’éducation s’incarne principalement dans l’article 20. Collègues, je vous le dis gravement, nous ne pouvons pas accepter que le Conseil soit complètement verrouillé par la présidence et les tutelles. Nous sommes tout à fait capables d’apprécier la valeur ajoutée du regard des personnalités extérieures mais nous ne pouvons accepter qu’elle représente autant de voix que celle des enseignants chercheurs. Nous ne pouvons accepter que la parole des personnels BIATSS ou des étudiants soit ainsi marginalisée.

De plus, vous avez voulu que le président du CA ne soit pas un universitaire, une concession aux écoles, justifiez vous (diapo)

Mais, comme dernièrement avec PSL et Saclay, il y a de fortes raisons de penser que le jury recommandera bientôt l’accélération de la perte de la personnalité morale et juridique (PMJ) des établissements-composantes et que la présidence échappe à la communauté universitaire, sur le modèle de la gouvernance hospitalière.

Mesdames et messieurs, les personnalités extérieures, excusez nous de vous interpeler de la sorte mais pour nous c’est un enjeu de souveraineté, nous voulons rester maîtres de notre destin. (diapo)

Concernant le « sucre dans le café » qui doit faciliter ce « saut dans l’inconnu », l’I-Site, l’I-Site, l’I-Site puisque c’est l’argument principal des défenseurs de l’EPE. Avions-nous d’autres choix ? Il nous semble bien que oui si l’on avait résisté un peu. De ce point de vue, la décision de mettre fin à la ComUe au moment même où le projet d’EPE a été lancé interpelle. De même, il nous semble que vous avez raté une occasion historique d’expliquer au SGPI et au ministère après le départ de Centrale Lille en décembre 2020 que les écoles étaient contre l’EPE. Regardez l’université de Pau ! Un I-Site sans EPE ! Et ils ne sont pourtant pas la 2e université de France en termes d’effectifs ! Des directeurs de composante vous l’ont dit : il fallait oser se présenter devant le jury, avec le bilan de la fusion et des fusions dans la fusion. En 3 ans, les travailleurs de l’université ont déjà payé un lourd tribut. Les risques psycho-sociaux, la souffrance au travail, explosent comme ne cesse de le rappeler le CHSCT qui vous interpelle. (diapo)

Et, pour finir, sommes-nous vraiment au clair sur le chemin que trace l’engagement dans un EPE ? La réponse faite à Science Po sur la perte de la PMJ n’est pas rassurante, comme le dit Pierre. Le grand établissement n’est pas une solution rassurante, surtout si l’on est attaché à la démocratie universitaire. Savez-vous qui rédigera les statuts du grand établissement ? Certainement pas le CA, mais bien le gouvernement. Et vous voudrez que l’on vous suive dans ce grand saut ? Avec le risque que l’élection du président n’échappe définitivement à la communauté universitaire ?

C’est donc tout ça (sortie du code de l’éducation, augmentation des droits d’inscription et surtout confiscation de la démocratie universitaire) que le vote sur l’EPE engage. Et pour l’université « canal historique » il n’y aura plus de retour en arrière possible, plus de réversibilité, sauf à mettre fin à l’EPE dans son ensemble et pour tous les établissements. Donc oui, on perd la PMJ car dans "cet emboitement des PMJ", l’université historique n’existe plus de manière indépendante. (diapo)

M. Camart, vous n’avez pas été élu pour sortir du code de l’Education. Et, à en juger des réponses que vous avez apporté sur la fin de l’expérimentation, nous ne sommes mêmes pas certains que vous sachiez vraiment où vous nous emmenez. Tout ce que vous réussirez à faire si vous forcez le vote sur l’EPE, contre la majorité écrasante des collègues et des étudiants qui se sont exprimés au referendum, tout ce que réussirez à faire, c’est de fracturer durablement la communauté universitaire alors que nous devrions être toutes et tous solidaires et unis face au COVID.

Chers collègues, chers membres du conseil, je vous le dis solennellement, ne sous-estimons pas le choix historique qui se présente à nous.
Nos collègues, nos étudiant.es et l’ensemble de la société civile nous regardent. A Lille et dans le reste de la France.
Nous avons l’occasion d’entrer dans le « monde d’après » par la grande porte, celle de la démocratie, de l’autonomie, du commun.
Osons nous libérer d’un ensemble de chimères (l’attractivité, la compétition généralisée, le label), toutes ces chimères nous font perdre le sens de nos métiers, le sens de nos missions, et fragilisent le rôle immense qu’une institution comme l’université de Lille peut jouer dans cette grande région.
Notre région a tellement donné à la nation et demande aujourd’hui simplement de la reconnaissance.

Alors, que se passera-t-il demain, si nous rejetons les statuts qui nous sont imposés ? Que se passera-t-il si nous refusons le chantage qui nous est fait ?
Et bien, nous nous retrousserons les manches, tous ensemble, notre communauté universitaire réunie, pour demander à l’Etat d’assumer ses devoirs vis-à-vis de cette grande région, de sa population, de sa jeunesse, de ses institutions et de ses entreprises.
L’ensemble des partenaires extérieurs nous accompagnera dans cette démarche, que nous porterons la tête haute, davantage tournée vers nos amphithéâtres et nos laboratoires que vers Shanghai et ses classements absurdes.
Pour finir, il est toujours utile de faire un bref détour par le passé. Vous le savez, notre belle université publique est l’héritière du mouvement de refondation des universités de Lille dans les années 1960. Au moment où elle commençait à être touchée par la désindustrialisation, la région a obtenu des investissements massifs de l’Etat. Non, pas en répondant à quelques « appel à projets », en abandonnant notre souveraineté pour quelques morceaux de sucre ? Non. Tout l’inverse !
Nos prédécesseurs, avec les forces vives du territoire, se sont battus pour développer l’enseignement supérieur et la recherche dans une région qui en avait bien besoin, qui avait fortement contribué à la richesse nationale sans bénéficier de beaucoup de soutien en matière d’ESR.

C’est ce modèle qui doit nous inspirer aujourd’hui, ce modèle qui doit nous aider à inventer un horizon plein de sens, d’utilité sociale et d’imagination.
Alors que nous sommes encore en pleine pandémie, ne gâchons pas cette occasion historique de reprendre notre destin en mains. Fièrement, en nous montrant dignes de ceux qui nous ont précédés, en pensant à nos enfants, et aux générations futures.
Il en va de notre destin collectif dans ce « monde d’après », dans ce « monde d’après » que nous écrivons ensemble. Ce n’est pas à un renoncement que nous vous convions, mais bien à un projet enthousiasmant, où chacun trouvera sa place. « ce qui se fait sans nous, se fera contre nous ». N’oublions jamais cette phrase de Nelson Mandela,
C’est cette alternative que nous vous invitons à rendre possible, en vous demandant avec la solennité la plus grande de voter contre la sortie du code de l’éducation, de voter contre les statuts de l’EPE.