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Le projet de loi Baptiste ou le mirage de la régulation de l’enseignement privé lucratif

vendredi 5 septembre 2025

Favorisé par le désengagement continu de l’État dans l’ESR, l’introduction de la sélection avec Parcoursup comme seule réponse au babyboom de l’an 2000, et dopé par l’argent public lucratif de l’apprentissage, le marché de l’enseignement supérieur privé a explosé en France (20% en 2016, 26% en 2022).

Si la critique de la réforme « non financée » de l’apprentissage de 2018 se fait de plus en plus intense, en particulier exprimée par la Cour des Comptes (qui l’évaluait en 2022 comme « la politique de soutien à l’emploi la plus coûteuse de l’histoire de la Ve République »), c’est bien la mise en scandale récente de la qualité de certaines formations privées et de leur marketing sournois [1] qui ont servi de justification à Philippe Baptiste pour déposer le 30 juillet 2025 un projet de loi sur le bureau de l’Assemblée nationale, à examiner en procédure accélérée.

Une solution qui cherche un problème

Quelle que soit l’issue de la question de confiance posée par le Premier Ministre François Bayrou le 8 septembre, ce projet de loi appelle à une grande vigilance tant sur la manière que sur le fond. Il y a bien quelques éléments positifs : par exemple, le texte entend mieux protéger les étudiants et apprentis contre certains abus en instaurant un droit de rétractation de 30 jours (que feront-ils alors ?), en interdisant aux centres de formation d’apprenti de pratiquer des "frais de réservation" et en étendant l’obligation de certification Qaliopi à tous les prestataires de formation professionnelle ainsi que les critères d’autorisation d’ouverture de formation par le recteur de région académique (qui pourrait infliger une amende salée de… 3750 euros ( !) si les établissements privés ne communiquent pas la liste des professeurs, le programme des cours et la liste des diplômes délivrés.

Mais, globalement, ce projet de loi présenté au début de l’été sans véritable concertation ne s’attaque pas frontalement aux dérives du privé lucratif : aucune limitation des aides publiques à l’apprentissage aux établissements partenaires identifiés comme non lucratifs, aucune sanction ni limitation associée à l’usage des termes confusionnistes de Bachelor, Mastère, Master of science, niveau licence, préparation BTS qui fait le miel du privé lucratif.

Le public, l’agrément et le partenariat. Dernier western ou nouvelle frontière ?

« Ce texte ne vise absolument pas à restreindre les libertés ou à taper sur l’enseignement supérieur privé qu’il soit lucratif ou non. Le but du jeu, au contraire, c’est simplement créer un cadre pour que ces formations et ces établissements se développent. Je n’ai aucune difficulté avec cela. Ils sont parfois plébiscités par certains étudiants et c’est très bien » (le ministre Philippe Baptiste à News Tank, 4 juillet 2025)

Sous couvert de réguler le privé lucratif, ce projet élaboré en catimini s’attaque surtout au secteur public en affaiblissant davantage le « monopole de la collation des grades ». D’abord, le projet dit de « de modernisation et de régulation de l’enseignement supérieur » vise à réorganiser l’ensemble de l’ESR en trois cercles : le public, l’agrément, le partenariat. Les deux dispositifs de reconnaissance par l’État des établissements privés d’enseignement supérieur pourront se cumuler : « l’agrément », que pourront demander tous les établissements privés, et le « partenariat », que ne pourront briguer (pour le moment) que les établissements privés non lucratifs. Il n’y aura alors aucune différence de traitement entre établissements publics et établissements privés en partenariat, les deux concourant aux mêmes missions de service public et se soumettant aux mêmes obligations de contrôle étatique (évaluation par une instance de type HCERES, autorité du recteur de région académique). Enfin, le projet de loi Baptiste envisage que les grades universitaires, notamment les diplômes de Licence, de Master ou encore les titres d’ingénieurs puissent être délivrés par les établissements « partenaires » ou « agréés » (= le privé lucratif). La délivrance de ces diplômes, auparavant réservés aux universités et écoles reconnues par la CTI, pourra donc se faire sans accord avec un EPCSP, par simple décision du recteur de région académique dont les compétences seraient largement affirmées [2].

Une tronçonneuse pour tailler dans l’offre de formation

Par ailleurs, le projet de loi, en lien avec les COMP100%, accentue « l’autonomie » des universités en instaurant une accréditation globale plutôt qu’une accréditation formation par formation. Présentée sous l’angle de la simplification et de l’adéquationnisme aux besoins du bassin d’emploi, cette "souplesse" devrait permettre de "rationaliser" encore plus régulièrement l’offre de formation pour boucler les budgets.

Une réponse aux établissements qui se sont jetés dans le « vide juridique » avec l’expérimentation

Dernier élément utile à mentionner, parmi ce texte de 86 pages, le projet de loi Baptiste, s’il écarte finalement l’inscription du statut de grand établissement dans le droit commun, prévoit d’étendre la durée de l’expérimentation des établissements publics expérimentaux de trois ans, jusqu’en 2031. Ces EPEX, on le rappelle, non seulement permettent de déroger au code de l’Éducation (par exemple en matière de démocratie universitaire), mais ils alimentent une compétition interne et organisent une grande confusion entre établissements publics et privés et publics qui les composent, contribuant à la légitimation institutionnelle de ces derniers. Il est encore temps d’en sortir (ou d’éviter d’y entrer) !
Pour plus d’éléments d’analyse détaillés, voir la note de Julien Gossa


[1en particulier celles du groupe Galileo dont les logiques de rentabilité sont décryptées dans le livre Le Cube de la journaliste Claire Marchal

[2permettant aux appuis politiques locaux de jouer fortement pour l’ouverture de formations privées, alors que l’extrême droite n’a jamais été aussi proche d’arriver au pouvoir et que celle-ci cherche à mieux contrôler l’enseignement pour étendre ses idées