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Les universités gouvernées par des COMP

mardi 29 avril 2025

Nous avions déjà sonné l’alerte dans notre article de novembre 2023 « COMP 2023-25, de la chantilly au goût amer » alors que le CA adoptait son premier contrat d’objectif, de moyens et de performance (COMP). Alors que l’ancienne ministre, Sylvie Retailleau, annonçait que les COMP ne seraient plus seulement de la chantilly sur le gâteau (0,8% de la subvention de charge pour service public, SCSP) fin 2023, voilà que tout s’accélère dans le récent communiqué de presse du MESRI du 8 avril, puisque le Ministre Philippe Baptiste a annoncé le lancement de la première phase du déploiement des nouveaux COMP (« la contractualisation dès le 1er euro ») avant généralisation en 2026.

« Une déconcentration accrue » , telle qu’évoquée dans le communiqué ?

Si on se concentre bien, c’est bien l’inverse qui s’annonce, à savoir une recentralisation et un pilotage accru. Les COMP incarnent parfaitement le principe de steering and not rowing théorisé par les gourous du new public management Osborne et Gaebler dans the Reinventing Government : How the Entrepreneurial Spirit is Transforming the Public Sector (1992 : 32). Alors oui, les moyens de la mise en œuvre sont déconcentrés, mais selon des objectifs stratégiques, assortis d’indicateurs de performance, qui sont définis par le centre.
C’est tout l’objectif de l’Acte II de l’autonomie des universités annoncé par le Président Emmanuel Macron dans son discours du 7 décembre 2023. Et l’on rage devant la naïveté complice de la vice-présidente de France Universités qui explique à l’AEF (Dépêche n°729643, 10 avril 2025) que la conférence a accueilli « très favorablement » les annonces de Philippe Baptiste car « L’idée d’avoir une contractualisation globale qui permettra de sortir du micromanagement par l’Etat, grâce à un mode de pilotage avec des objectifs est une bonne chose ». [1]

Des universités « libres d’obéir »

Typiques du en-même temps présidentiel et des oxymores orwelliens de la novlangue néomanagériale, les COMP 100% sont la nouvelle laisse d’universités qui sont « libres d’obéir » pour reprendre le bon mot de notre collègue Julien Gossa et dont on renvoie à la note pour plus de détails.
Déjà expérimenté dans les domaines de la santé ou de la rénovation urbaine, le COMP est un instrument « disciplinaire » au sens foucaldien du terme, dessinant un gouvernement à distance des universités dont l’autonomie n’est qu’une façade.

Un instrument diabolique en période d’austérité budgétaire

Comme toujours, on nous explique que c’est un instrument de libération, de « souplesse »,« d’agilité » qui se révélera à l’usage et n’est pas par principe associé à la raréfaction des ressources (même si chaque porte-parole de France Universités, de l’UDICE et de l’AUREF a annoncé être « vigilants quant aux moyens », AEF, 10 avril 2025). C’est tout à fait vrai, en théorie !

D’abord, comme son nom l’indique, le COMP substitue le contrat à « la loi » (ou plus exactement à une règle de calcul basée sur des éléments (à peu près) objectifs [2]). Le COMP100% renforce donc drastiquement la tendance au traitement de moins en moins égalitaire entre les universités véritablement assumée à partir de 2007 [3]. Il faudra donc à l’avenir trouver d’autres arguments que la justice et l’égalité pour que l’université de Lille obtienne une SCSP (subvention pour charge de service public [4]) à la hauteur de celle d’Aix-Marseille Université [5].

Si on abandonne totalement le principe d’un financement autour de critères égalitaires, alors on peut tout à fait imaginer que les universités « excellentes » seraient mieux financées que celles qui sont « médiocres » (et qu’on réservera aux premières la possibilité de faire de la recherche). Au-delà même de la question du niveau de financement, c’est vrai, c’est tout simplement le principe même de service public qui est attaqué de front par un financement à 100% autour de la performance.

Mais dans le contexte actuel, les esprits un tantinet paranoïaques des syndicalistes imaginent aussi comment un gouvernement qui chercherait à réaliser chaque année 40 milliards d’économie sur le budget pourrait utiliser le COMP 100% pour diminuer le financement de chacune des universités. D’autant que le traitement des fonctionnaires représente encore aujourd’hui l’essentiel de la SCSP : si 100% de la SCSP est attribuée par le biais de COMP, qu’adviendra-t-il des rémunérations des agent⋅es ?

À heure où notre établissement doit réaliser, en raison d’une SCSP insuffisante, environ 10% d’économie en moyenne sur le "coût" des formations, se poser cette question est-il complètement hors de propos ?
Pour le moment, on fera simplement remarquer que les pistes d’économies envisagées à peu près systématiquement partout, pour ne pas réduire l’offre de formation, sont de dégrader (encore) les conditions de travail et d’étude [6] ou d’essayer de réduire la reconnaissance du travail pédagogique [7], c’est à dire de baisser la rémunération du travail des enseignant⋅es [8] (pour commencer [9])...


Voir en ligne : Blog de Julien Gossa : Des universités « libres d’obéir »


[1On peut en effet mesurer, à l’aune des mesures du gouvernement Trump à l’égard des universités états-uniennes, les bienfaits d’un tel mode de financement dans les mains d’un gouvernement français dont les objectifs seraient analogues à ceux du gouvernement Trump.... Aucun risque en France ?

[2comme par exemple, le nombre d’étudiant⋅es, le type de formations dispensées, la surface et l’état du patrimoine immobilier, etc.

[3le système SANREMO (=système analytique de répartition des moyens) utilisé précédemment ayant été à l’époque remplacé par le système SYMPA (si, si, ce n’est pas une blague : système d’attribution des moyens à la performance et l’activité), lequel a ensuite disparu aussi des documents officiels du ministère au profit d’une attribution plus ou moins calquée sur la SCSP précédente avec des variations inexpliquées

[4enfin, plutôt un COMP !

[5comparaison à laquelle se réfère fréquemment le président de notre université

[6en augmentant le nombre d’étudiant⋅es par groupe ou amphi

[7par exemple, pour un même enseignement, décréter que c’est un TD alors qu’avant c’était un cours-TD, baisse du nombre d’heures de travail reconnues pour l’encadrement de tutorat, projets, stages,...

[8puisque pour atteindre le nombre d’heures de service requises, il faudra donc prendre plus de groupes en enseignement ou encadrer plus d’activités, c’est à dire, travailler plus pour gagner autant...

[9en attendant de voir comment s’y prendre pour réduire celle des autres personnels ? Les premières sources d’économies depuis la fusion des 3 universités ayant été la suppression de postes d’enseignant⋅es-chercheur⋅es ou enseignant⋅es (EC&E), puis celle de postes BIATSS lorsqu’il est apparu qu’il devenait impossible de supprimer plus de postes d’EC&E, on peut aussi se poser la question d’un schéma analogue pour les rémunérations